Je me suis fait un peu allumer en conférence de rédaction hier car j’avais consacré mercredi une demie page à Lumière silencieuse, le 3e film du Mexicain Carlos Reygadas. Rendez-vous compte : une demi page entière pour un film que 10 pékins vont aller voir ! D'abord ils seront plus que 10 puis qu'ils étaient déjà 128 à la première séance à Paris mercredi. Mais surtout… Pourquoi pas ? Ce film, long, lent, pas bavard est aussi l’un des plus beaux, les plus fascinants qu’il vous sera donné de voir sur grand écran avant longtemps. Et porte tellement bien son titre ! Ajoutez à cela que Carlos Reygadas est un type passionnant, ancien rugbyman, puis juriste aux Nations Unies, avant d’épouser il y a dix ans la carrière de cinéaste. Je l’avais rencontré à Paris à l’occasion de Bataille dans le ciel et je l’ai retrouvé à Cannes en mai dernier, un peu azimuté pour dire vrai, mais riche de cette envie, de cette passion qui font les grands auteurs. Et les grands chieurs aussi ! Voici quelques extraits de notre conversation, quelques jours avant qu’il ne reçoive le prix du jury.
Qu’as-tu fait depuis Bataille dans le ciel ?
Après Bataille dans le ciel, j’avais besoin de paix. Je suis parti au Nord du Mexique, à la campagne, afin de compléter certaines idées qui trottaient dans ma tête. C’est là que j’ai décidé de tourner mon nouveau film avec une petite équipe : onze personnes, lumière naturelle, etc.
C’est donc une réaction à Bataille dans le ciel qui était plus sombre et dur…
Oui, je crois que chaque film qu’on fait est une réaction au précédent. D’ailleurs j’ai envie de complètement autre chose après Lumière silencieuse. Parce qu’on voit un film tellement de fois lors du processus de fabrication, notamment en post production. Au bout d’un moment on a qu’une envie, c’est de passer au suivant !
Les Mennonites sont les stars du film. Voulais-tu parler de cette communauté en particulier ?
Dans les grandes villes du Mexique, ces gens vendent du fromage aux feux rouges ! Mais lorsqu’on se rend dans les régions où ils vivent, on découvre des choses très intéressantes. Par exemple qu’ils ont développé un système économique autonome et que les valeurs familiales se substituent au gouvernement et à la politique. Mais ce qui m’intéressait avant tout c’est l’histoire d’amour, l’histoire universelle que nous connaissons tous. La communauté Mennonite, c’est juste un contexte.
Comment as-tu convaincu des non professionnels de tourner dans le film ?
Je leur ai raconté qui j’étais, comment je vivais ma vie. De quoi parlerait le film et je leur ai dit que ce serait une expérience merveilleuse pour eux, et pour leur culture. Et ils ont accepté…
Tu aimes faire durer tes plans, les faire “respirer”…
Parce que c’est comme ça que j’aime vivre ma vie. Si peu de gens prennent le temps de contempler la beauté du monde de nos jours. Il y a plein de choses dégoûtantes autour de nous, mais la vie est toujours merveilleuse. Même lorsqu’on est dans la merde ! (rires)
As-tu longtemps bossé sur le montage ?
Je suis parti à Hanoï plusieurs semaines avec ma copine et un petit ordinateur. Nous avons travaillé dur, six jours sur sept. J’ai essayé de capturer le côté organique des images et de sons, et ce sont eux qui m’ont dit quand il fallait couper.
Est-ce difficile de financer tes films ?
Oui, c’est difficile. Mais pas plus que ça ne devrait l’être. Je veux dire, pourquoi quelqu’un accepterait-il de te donner de l’argent sans être sûr de récupérer la mise ? Tu sais, si tu veux gagner de l’argent facilement, il suffit de dire oui à tous les scénarios que les grands studios veulent tourner. Mais personne ne te donnera facilement de l’argent pour réaliser tes rêves. Personne.
Merci pour cette interview et d'avoir consacré du temps et du papier de presse gratuite à ce film si étonnant, passé plutôt inaperçu, même et malgré son prix à Cannes.
Rédigé par : Joachim | 08 janvier 2008 à 15:14